• Préface

    Quel magnifique début d'été sur Kondaa. Un beau soleil, et une brise fraîche qui venait lui caresser le visage. Elle portait des sandales mais les hautes herbes venaient lui chatouiller les jambes, et la mer en bas présentait de beaux reflets turquoises. Tazhnia était d'excellente humeur aujourd'hui. Ce temps ensoleillé était parfait pour les cultures, l'herbe était encore haute, ils n'auraient aucun soucis à tenir l'été, et...

    - Il y en a deux !!!

    Son sourire s'élargit. Son mari, couvert de sang jusqu'aux avant-bras, ne souriait pas encore, mais elle savait qu'il était ravi. Elle le sentait.

    Le premier faon était étalé au sol, tout humide et tremblant, mais les yeux déjà bien ouverts. C'était ses premières minutes dans ce monde inconnu et elle sentait sa désorientation et son émerveillement. Juste à côté la biche poursuivait ses efforts avec la supervision de Ulack, et Tazhnia ne pouvait rien faire d'autre qu'observer et se tenir prête en cas de complication.

    Mais non. Cette journée était sous de bons présages, car la mise bas se passa aussi bien pour le second faon. Ulack et Tazhnia se mirent à l'écart pour observer la biche nettoyer ses petits, épaule contre épaule, main dans la main. Ils se sentaient bien.

     

    ***

     

    - Elle était d'une bonne lignée, c'est une excellente nouvelle pour l'élevage.

    - Et les petits sont vigoureux. Je pensais en garder un pour Tim.

    - Tu penses qu'il est assez grand pour avoir la responsabilité d'un faon ?

    Tazhnia s'inquiétait.

    - J'ai eut mon premier faon à 5 ans, répartit Ulack. Il a largement l'âge. Et ça lui apprendra les responsabilités.

    Si une personne était douée pour convaincre Tazhnia, c'était bien son mari. C'était pour cette raison qu'il était son mari, d'ailleurs. Elle fit une moue puis éclata de rire.

    - Parfait, son premier faon. J'ai hâte de voir quel nom il va choisir pour lui !

     

    ***

     

    - Maman ! Maman ! Froussard veut pas m'attendre !

    Tazhnia était assise au bord d'un muret un pierre, occupée à réparer des harnais. Elle leva les yeux vers la petite tête brune qui accourait pleurer dans ses jupes.

    - Tu as essayé avec des carottes, mon grand ?

    - Oui, mais ça marche paaaas !

    - Il faut de la patience, ça s'apprend. Tu pose la carotte sur un cailloux, tu t'éloignes un peu, et tu attends. Et tu recommences, à chaque fois un peu plus proche. Tu verras qu'il finira par s'habituer à toi.

    Il poussa un soupir qui souleva les mèches qui venaient tomber devant ses yeux.

    - C'est boooon, je recomeeeeence.

    Elle sourit un peu plus. Son mari avait raison, comme souvent. Tim était ravi d'avoir son "Froussard", mais il allait devoir faire quelques efforts. Un bon début d'apprentissage si il voulait reprendre un jour l'élevage.

    Elle posa à côté d'elle le harnais qu'elle venait de terminer et ferma les yeux. Le vent était chaud et elle pouvait entendre les vagues se fracasser en bas sur les rochers. Elle n'avait même pas besoin de voir pour deviner le domaine familial, plantations en plateau sur toute la colline. Des murets de pierre blanche servaient à égaliser le sol et formaient par endroit des parcs pour les troupeaux de cerfs. Et leur petite maison attenait aux étables, avec un jardin devant où ils cultivaient les courges et les fèves.

    Une sorte de grondement lui fit rouvrir les yeux. Du tonnerre ? A cette saison ? Elle ne voyait nul nuage à l'horizon, et pourtant le grondement persistait.

    Tim revenait déjà vers elle, affolé.

    - Mamaaaaan ! C'est quoi ça ?!!!!

    - Calmes-toi mon grand. C'est juste un peu d'orage. C'est toi qu'on devrait appeler Froussard en fait ?

    - Même pas vrai !

    Et il redressa la tête en faisant fièrement demi-tour. Tazhnia sourit, mais une sourde inquiétude s'installait quand même. Elle ne croyait pas à sa propre explication. En fouillant l'horizon du regard, elle fini par repérer de sombres nuages loin, loin au Nord. Le grondement s'était calmé.

    "De l'orage. C'est juste un orage en pleine mer."

     

    Préface

     

    ***

     

    Un an. Une rotation complète des saisons. Un an que ce nuage noir leur masquait le soleil et leur retombait dessus en poussière de cendre. La punition divine.

    Tazhnia ne savait que croire. Les dieux étaient bons, comment pouvaient-ils faire une chose pareille, détruire leur propre création ? Mais les faits étaient là, et les prêtres devaient avoir raison : ils avaient déplus aux dieux et la punition s'abattait sur eux, leur ôtant le soleil, pourrissant leurs récoltes, tuant leurs élevages. Tazhnia sentait la détresse des hommes et des animaux tout autour d'elle. Si peu nombreux aujourd'hui. Seulement les plus robustes, ou les plus chanceux. Pas son petit Tim. Pas son cher Ulack. Elle était au désespoir.

    De la belle ville de Kondaa et de ses collines verdoyantes, il ne restait plus que des arbres rachitiques, de la boue grise mêlée de cendres, des animaux maladif et un peuple affamé. Ou du moins, ce qu'il en restait. Le grand chef étant mort cette nuit même des suites de sa maladie, les survivants avaient décidé de se réunir pour prendre une décision.

    Le nuage semblait un peu moins épais que quelques mois en arrière, mais le soleil était toujours invisible, et les plantes toujours à l'agonie. Pour Tazhnia, la décision était toute prise : il fallait partir. Prendre tout ce qui leur restait, fuir ce pays maudit. Tous n'étaient pas d'accord :

    - Nous ne savons rien du monde extérieur, il est peut-être encore pire que ce que nous vivons ici !

    - Peut-être, mais si nous restons ici c'est la mort assurée. Ailleurs il y a l'espoir !

    - Le nuage est un peu plus clair chaque jour. Nous aurons bientôt la délivrance !

    - Bientôt ? Bientôt quand ?! Les greniers sont déjà vide, nous n'aurons aucune récolte cette année ! Même si le nuage se levait, nous n'aurions rien pour passer l'hiver !

    - Cette terre est la notre depuis toujours, nous ne pouvons pas la quitter ainsi !

    - Cette terre est MORTE !

    Tazhnia se leva de son siège et se plaça face à la foule.

    - Très bien. Vous êtes tous des Froussards à ce que je vois. Vous préférez vous éteindre ici tranquillement que de tenter de survivre dans l'inconnu. Moi je part. Je trouverai une terre meilleure, où nos cerfs gambaderons à nouveaux et où nos enfants grandirons en paix.

    Elle tenta de refouler ses larmes mais n'y parvint pas. Tant pis. Qu'ils les voient, elle n'avait nulle honte.

    - Moi, je part. Qui me suivra ?

    Elle parcouru l'assemblée du regard d'un air de défi. Qui osera se lever?

     

     

    >Explications<